11 janvier 2008

Sarkozy l'Orateur (2) : décryptage de l'impro-Sarko

Je les avais promis dans mon dernier billet, mais je ne les donnerai pas, les nuages arborés des deux versions (prévue, et prononcée) du discours de conférence de presse de Sarkozy. Pourquoi ? Je suis toujours loin d'être satisfait des détails techniques de la construction de ces objets, et même si je suis convaincu qu'un système de consensus d'arbres permet de bien les comparer (tiens, on s'approche de mon sujet de thèse, là...), quand les arbres à comparer ne sont pas très fiables, ça ne fonctionne pas. Bref, pas de jolie visualisation à l'interprétation casse-gueule, mais plutôt un bon vieux traitement semi-automatisé des différences entre les deux textes.

Nuages de mots des deux versions du discours de conférence de presse de SarkozyCommençons par la dynamique globale des changements. Je l'évoquais image à l'appui dans mon dernier billet, Sarkozy se lâche peu à peu dans son discours, et finit par improviser complètement en laissant de côté le texte prévu. Et à s'écarter des chemins balisés, on commet des erreurs. En particulier une de celles que j'adore, traque, et compile, une erreur d'accord de pronom relatif, dans sa forme la plus pure qu'est le "danlekel" invariable :

« Quelle est la ville dans lequel nous voulons vivre ? »
Dans le milieu du discours, on peut aussi noter une litote bien maladroite : "les enseignants sont plus victimes que coupables dans cette affaire" ! A moins qu'il faille vraiment prendre la phrase au pied de la lettre, et fustiger les enseignants coupables de ne pas passer leurs weekends à réparer et repeindre leur université... De même il est un peu cavalier en ajoutant qu'on ne parle jamais d'urbanisme pendant les campagnes politiques (hum, certes, ce sont des discours, pas des débats, dans Discours2007).

Maintenant voyons quels sont les thèmes des passages improvisés, et des passages supprimés (indiqués barrés) significatifs, ils expliquent bien sûr les mots mis en relief dans le nuage de mots "contrasté" de la version pronconcée :
Tous ces passages, c'est du pur Sarkozy. Pas de conseiller, pas de notes. Juste un freestyle présidentiel. Et là on peut se lancer dans l'analyse du style.

Malheureusement je n'ai pas les outils pour la détection et la mesure de l'anaphore. A vue de nez, j'ai quand même été tout à fait surpris d'en trouver un certain nombre ("comment..." ligne 112, "Paris doit" ligne 553, "L'Europe" ligne 844, "On aurait eu l'air malin" lignes 879 et 892, "Et bien sûr" ligne 1081...) dans les passages improvisés. Se serait-il donc converti au style Guaino, ou bien y a-t-il une autre explication ? Ils est de plus tout à fait frappant de noter à quel point elles sont renforcées à l'oral. Comme je l'expliquais, les retours à la ligne dans le texte prononcé indiquent des pauses dans le discours, et les anaphores arrivent toutes en début de ligne ! On peut aussi remarquer ligne 37 comment deux répétitions de "du respect" sont supprimées à l'oral, mais la suppression d'un "et" et une pause permettent de conserver la fonction rhétorique de l'anaphore.

Passons à une autre caractéristique du discours sarkozien : le pronom "je". Pour cela on fait mouliner le TagCloud Builder non pas sur les textes originaux, mais sur leurs listes contrastées et normalisées d'occurences de mots, ce que j'avais déjà fait sur les programmes du PS et de l'UMP (malheureusement cet outil de contraste est encore trop peu abouti pour le distribuer). J'ai pris bien soin pour une fois de laisser tous les mots dans le nuage, pronoms, conjonctions et interjections inclus, ce qui donne donc un aperçu du style oral de Sarkozy. Et les "je", alors ? Certes, le "j'" ressort, mais la fréquence des "je" est inférieure dans le texte prononcé par rapport au texte prévu ! Comptons les fréquences en détail (et c'est l'occasion de livrer une astuce pratique pour compter facilement le nombre d'occurences d'un mot dans un texte : ouvrez-le dans un éditeur ou traitement de texte, faites Rechercher/Remplacer, le mot éventuellement suivi d'un espace, par lui-même, choisissez Remplacer tout, et voilà la réponse !) : 14,99 fois pour 1000 mots dans le texte prononcé, contre 12,80 fois pour 1000 mots dans le texte prévu ! On a bien fait de ne pas s'arrêter à la première impression donnée par le nuage, et il ne pourra pas prétendre que ceux qui lui écrivent ses discours le forcent à se mettre en avant !

Dans le style familier à la Sarko, on peut noter le pronom "on", le "y" de "il y a" voire "y a", ou encore le "eh" de "eh ben" ou "eh bien". Au fait, vous vous rappelez du "naturellement" de Chirac ? Sarko préfère le "parfaitement" (fréquence d'environ 1 pour 1000 mots dans ce discours), ce qui semble aussi se confirmer avec ses discours de campagne.

Et pour finir sur le style Sarkozy, une remarque que je faisais dans le billet précédent et que je confirme aujourd'hui, l'emploi du verbe "épouser", deux fois à l'oral mardi, semble être conjoncturel (dans les discours recensés dans Discours2007 il apparaît moins de 0.1 pour 10 000 mots, contre plus d'une fois pour 10 000 ici).

Enfin, je l'ai omis dans mon dernier billet, je dois mentionner un outil qui m'a particulièrement aidé dans ma transcription : le Real Player Download & Recording Manager qui s'installe avec RealPlayer11 Basic (hein, mais ils font quoi, dans la blogsophère française ???), et qui propose de télécharger en un clic toutes les vidéos ou sons croisés sur internet. A quel point c'est légal ? Real n'est pas une petite boîte douteuse en tout cas, j'ai l'impression que comme Altavista, ce système va devenir un excellent assistant au piratage, pour initiés...


Ajout du 25 mars 2008 : et pour aller plus loin dans l'analyse du discours sarkozien, jetez-vous sur l'indispensable Les mots de Nicolas Sarkozy !

4 commentaires:

Philippe a dit…

L'Elysée a mis en ligne la version prononcée du discours, ainsi que la suite de la conférence de presse. J'ai vérifié rapidement les différences avec ma version, ce qui m'a permis de noter quelques erreurs de transcription de ma part, que je ne corrigerai pas (tiens, Alsthom a perdu son h en 1998...). Quant aux choix de transcription de l'Elysée, ils rétablissent les "ne" des négations, enlèvent les "ben" et quelques "eh bien". Ils ont aussi choisi de virer l'incise "là, je parle pour vous". Et aussi, c'est drôle, de remplacer "qu'on trimballe" par "contre un bal" :D. Je suis très curieux de savoir comment ces transcriptions sont réalisées (combien de personnes, de temps, intervention de moyens automatiques...), de même que pour le sous-titrage de films d'ailleurs. Si vous avez des infos...

Seb - CaRéagit a dit…

Dans la série je crois que vous pouvez analyser et faire une étude quasi "marketing" des discours en utilisant "Sphinx". Ce dernier vous rendra des analyses assez pointues sur le contenu des discours.

Merci pour ce billet sympathique.

Philippe a dit…

@seb : je ne connaissais pas, vous m'envoyez un chèque de 2750,80 euros pour que je puisse tester ça :) ?

Philippe a dit…

Voir aussi ce billet très intéressant sur la rhétorique sarkozienne à propos du même discours et des questions-réponses qui ont suivi, ainsi que ses commentaires. La presque totalité des points évoqués (les "je veux" sont écrits) concerne les parties ajoutées oralement.